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MASTERPIECE
SILLY MIND ϟ knock, knock, i kill you.

MASTERPIECE

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MessageSujet: nous lier   nous lier Icon_minitimeSam 14 Jan - 11:02






masterpiece ⊱

(c) SUNSHINE

La silhouette d'un autre écrivain en herbe nous attend au croisement de la prochaine rue, sous le lampadaire. La jour se lèvera bientôt, mais tout demeure ou noir ou gris pour l'instant. La silhouette et sa valise en faux cuir embarquent avec nous. Le chauffeur redémarre, son paquet de tortillas à la main. Lui aussi est écrivain. Nous le sommes tous, presque tous. Mr. Whittier et Mme Clark sont les deux seules exceptions. Nos bourreaux. Ce sont eux. L'un sur sa chaise roulante chromée, qu'il caresse du bout de l'index – un vulgaire os entouré de viande rouge et tachée. Il est vieux. L'autre caresse sa poitrine refaite comme d'autres le font derrière avec leur chat ou leur bague. Nous sommes tous là pour la même chose. S'éloigner du monde. Trois mois. C'est ce que promettait l'annonce.
Ladite annonce avait été placardée partout. Dans les cafés, les toilettes publiques, du les murs, les arrêts de bus, les panneaux d'affichages. Elle disait :
RETRAITE D'ECRIVAINS :
METTEZ VOTRE VIE DE CÔTE PENDANT TROIS MOIS

En allez-vous. Abandonnez vos obligations. Oubliez votre boulot, votre famille, vos amis. Tout ce qui faisait votre vie. Vivez pendant trois mois dans un environnement propice à l'écriture. Au travail. Offrez-vous un avenir en tant que poète, scénariste, dramaturge, romancier. N'hésitez pas. Nombre de places très limité.
Trente d'entre nous ont répondu à l'annonce. Nous avons été trente à rencontrer nos bourreaux dans le café. Trente à apprendre que nous n'avions droit qu'à une valise. Ce qu'on voulait à l'intérieur, mais une seule. Pas plus; il faut que chacun puisse amener son bagage. Chacun devrait se poster à l'arrêt de bus le plus proche de chez lui. Un bus passerait nous prendre. Personne n'était au courant d'où nous allions; pas même nous.
Et le lendemain, plus aucune affiche n'était là.
Rien n'était arrivé. Nous n'étions pas là. Nous ne partions pas.
Pour le reste du monde, ça n'avait jamais existé.
Nous étions les vedettes inconnues.

Le bus se stoppait une dernière fois pour nous laisser tous descendre. La rue était juste assez large pour permettre au bus de s'y engager. Là, collés contre le mur, nous l'avons vu repartir. Il fallait aller le garer dans un endroit où on ne le retrouvera pas, ou trop tard. Quelque part qui ne pourrait pas les mettre sur la piste de l'endroit où nous nous trouvions. La chauffeur revint rapidement, et Mme Clark sortait un trousseau de clés de la poche de son manteau brun. La porte en béton s'ouvrit difficilement sur le néant. Un trou noir, du vide. Nous partions dans du rien.
Elle s'y engagea derrière Mr Whittier et son fauteuil, puis chacun d'entre nous pénétra la bâtisse. Nous vivrons pour les trois prochains mois dans un ancien théâtre. Enfermés, sans possibilités de sortir. Même pas un jardin. Nous dormirons dans les loges, a expliqué Mr Whittier.
Ici, il était la figure du Dieu : son coucher et son levé décidaient de quand tombait la nuit ou se levait le jour. Aucun de nous n'avait pensé à prendre de montre. Tous les matins, il allait dans la régie allumer les lumières du théâtre; la nuit seules les loges restaient illuminées.
Nous stockerons la nourriture dans des sacs Mylar gonflés à l'azote. La chaudière est au sous-sol. Il n'y aura sûrement pas d'eau chaude pour tout le monde le matin.

Enfermés là, chacun d'entre nous priait pour que personne ne nous trouve. Il ne fallait pas qu'on nous trouve. Deux jours avant la faim de notre séjour, nous percerons tous les sacs Mylar. Un seul trou d'épingle suffit pour que l'azote s'échappe. Nous jeûnerons, et à notre sortie nous aurons l'air de victimes. Nous sommes les victimes de Mr Whittier et Mme Clark. Quand nous nous réunissions, nous tentions de retenir le plus de phrases prononcées par chacun. Quand on fera un film et une mini-série et une BD sur nous, pauvres écrivains piégés, tout devra avoir l'air vrai. Quand l'un d'entre nous toussait, on priait pour qu'il crève. Pour que ce soit le sommet de notre souffrance. Le meilleur moment du film. Et au bout de ces trois mois, nous serons des stars. Célèbres.
Seulement Mr Whittier est mort.
Et seul lui savait où est la clé.






Dernière édition par MASTERPIECE le Jeu 6 Sep - 20:15, édité 55 fois
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MessageSujet: Re: nous lier   nous lier Icon_minitimeSam 14 Jan - 11:16

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Ladite annonce avait été placardée partout. Dans les cafés, les toilettes publiques, du les murs, les arrêts de bus, les panneaux d'affichages. Elle disait :
<center><b>RETRAITE D'ECRIVAINS :
METTEZ VOTRE VIE DE CÔTE PENDANT TROIS MOIS</b></center>
En allez-vous. Abandonnez vos obligations. Oubliez votre boulot, votre famille, vos amis. Tout ce qui faisait votre vie. Vivez pendant trois mois dans un environnement propice à l'écriture. Au travail. Offrez-vous un avenir en tant que poète, scénariste, dramaturge, romancier. N'hésitez pas. Nombre de places très limité.
Trente d'entre nous ont répondu à l'annonce. Nous avons été trente à rencontrer nos bourreaux dans le café. Trente à apprendre que nous n'avions droit qu'à une valise. Ce qu'on voulait à l'intérieur, mais une seule. Pas plus; il faut que chacun puisse amener son bagage. Chacun devrait se poster à l'arrêt de bus le plus proche de chez lui. Un bus passerait nous prendre. Personne n'était au courant d'où nous allions; pas même nous.
Et le lendemain, plus aucune affiche n'était là.
Rien n'était arrivé. Nous n'étions pas là. Nous ne partions pas.
Pour le reste du monde, ça n'avait jamais existé.
Nous étions les vedettes inconnues.

Le bus se stoppait une dernière fois pour nous laisser tous descendre. La rue était juste assez large pour permettre au bus de s'y engager. Là, collés contre le mur, nous l'avons vu repartir. Il fallait aller le garer dans un endroit où on ne le retrouvera pas, ou trop tard. Quelque part qui ne pourrait pas les mettre sur la piste de l'endroit où nous nous trouvions. La chauffeur revint rapidement, et Mme Clark sortait un trousseau de clés de la poche de son manteau brun. La porte en béton s'ouvrit difficilement sur le néant. Un trou noir, du vide. Nous partions dans du rien.
Elle s'y engagea derrière Mr Whittier et son fauteuil, puis chacun d'entre nous pénétra la bâtisse. Nous vivrons pour les trois prochains mois dans un ancien théâtre. Enfermés, sans possibilités de sortir. Même pas un jardin. Nous dormirons dans les loges, a expliqué Mr Whittier.
Ici, il était la figure du Dieu : son coucher et son levé décidaient de quand tombait la nuit ou se levait le jour. Aucun de nous n'avait pensé à prendre de montre. Tous les matins, il allait dans la régie allumer les lumières du théâtre; la nuit seules les loges restaient illuminées.
Nous stockerons la nourriture dans des sacs Mylar gonflés à l'azote. La chaudière est au sous-sol. Il n'y aura sûrement pas d'eau chaude pour tout le monde le matin.

Enfermés là, chacun d'entre nous priait pour que personne ne nous trouve. Il ne fallait pas qu'on nous trouve. Deux jours avant la faim de notre séjour, nous percerons tous les sacs Mylar. Un seul trou d'épingle suffit pour que l'azote s'échappe. Nous jeûnerons, et à notre sortie nous aurons l'air de victimes. Nous sommes les victimes de Mr Whittier et Mme Clark. Quand nous nous réunissions, nous tentions de retenir le plus de phrases prononcées par chacun. Quand on fera un film et une mini-série et une BD sur nous, pauvres écrivains piégés, tout devra avoir l'air vrai. Quand l'un d'entre nous toussait, on priait pour qu'il crève. Pour que ce soit le sommet de notre souffrance. Le meilleur moment du film. Et au bout de ces trois mois, nous serons des stars. Célèbres.
Seulement Mr Whittier est mort.
Et seul lui savait où est la clé.</list></span></div>

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